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Se sucrer le bec ou comment ruiner sa santé

 

Depuis longtemps pointé du doigt, le sucre est, selon Michel Raymond*, l’aliment dont la consommation massive a été la plus brutale. Du produit de luxe assimilé à une épice, voire un remède, le sucre est devenu, grâce à la découverte du Nouveau Monde et à la réinstauration de l’esclavage, un produit bon marché. Le sucré, saveur extrême de la douceur primordiale, a envahi nos vies au point de nous faire croire que nous vivons une éternelle trêve des confiseurs. Mais à quel prix ?

 

Du doux au sucré

 

L’alimentation humaine a toujours comporté une part de douceur car nombre d’aliments sont des pourvoyeurs de glucides sans pour autant être du sucre ! La première grande révolution alimentaire, consécutive au développement de l’agriculture, a fait des céréales et plus modestement des légumineuses, les piliers des apports quotidiens. Ce changement majeur a, selon les anthropologues, eu des répercussions rapides sur la santé avec notamment altération des dents et des squelettes. La seconde révolution a été induite par le développement de la canne à sucre sur des terres nouvellement découvertes. Parallèlement, l’engouement pour les boissons amères issues de ces contrées lointaines, cacao et café, contribua à faire augmenter la demande. Le Procope, premier café parisien si cher aux intellectuels, est l’un des initiateurs de cette consommation, ce qui fait dire à Olivier Soulier*, non sans ironie : « on a réinventé l’esclavage, aboli sous les Romains, pour permettre aux philosophes de philosopher ». À méditer…
Si au XVIIe siècle, les desserts sophistiqués font une apparition très marquée sur les tables aristocratiques soucieuses de distinction, il faut attendre le XIXe, avec notamment la mise au point du raffinage des betteraves par Benjamin Delessert pour que le sucre pur devienne un produit de consommation plus courant, grâce notamment à la chute de son prix. En effet, Napoléon désireux de contrer le blocus maritime, qui oppose la France à l’Angleterre et empêche l’arrivée du sucre de canne des Antilles, voit dans cette découverte une nouvelle richesse pour la France et ordonne par décret la plantation de 100 000 hectares de betterave. La France devient ainsi le premier producteur de sucre de betterave. Mais le boom au niveau de la consommation s’est produit véritablement après la seconde guerre mondiale. Et les statistiques donnent le tournis, de quelque 2 kg/an/pers au XIXe siècle, la consommation atteint 36 kg dans les années 1970 pour se stabiliser à quelque 34 kg actuellement en France. Néanmoins ce tassement est trompeur car si la consommation directe a bien un peu baissé, la consommation indirecte, elle, par le biais des produits transformés, reste très élevée, voire augmente. Veronica Van der Spek* avance même que la consommation totale serait 20 fois supérieure à nos besoins.

 

Le sucre appelle le sucre

 

Chacun en a fait l’expérience, le sucre stimule l’envie de remanger, ce qu’a parfaitement bien compris l’industrie qui glisse du sucre un peu partout, y compris dans les charcuteries. Et ce qui est vrai pour la seule appétence n’est que le reflet d’un appel interne induit par les variations de la glycémie. En effet, toute ingestion de sucre simple, tel le sucre de table (saccharose) ou tout produit sucré composé de glucose, entraîne une élévation rapide du taux de glucose sanguin et par voie de conséquence d’insuline, destinée à ramener ce taux dans une limite acceptable. Car si le glucose constitue l’un des carburants du cerveau (nous verrons ultérieurement qu’il fonctionne mieux en fait avec des graisses), celui-ci supporte mal les grandes variations, aussi bien dans un sens que dans l’autre. Au fil du temps, ces ingestions répétées appelant des réponses extrêmes finissent par déséquilibrer les mécanismes régulateurs, générant tout d’abord une hypoglycémie silencieuse, porte ouverte à un diabète de type 2. Consommer de façon régulière et répétée des produits sucrants et sucrés n’est donc en rien anodin et relève du cercle vicieux puisque l’hypoglycémie engendre le besoin de consommer… du sucre ! Il est à noter également que les fumeurs, les alcooliques, les grands buveurs de café, les récidivistes des régimes, entre autres, sont aussi victimes d’hypoglycémie.

 

Sucre et humeur, liaison dangereuse
Les recherches sur l’addiction au sucre sont nombreuses et révèlent de nombreuses interactions avec les neurotransmetteurs. Par exemple, le sucre contribue notamment à augmenter la synthèse de la sérotonine, ce neurotransmetteur régulateur de l’humeur dont la vertu principale est de calmer. En parallèle, l’insuline sécrétée en réponse à l’ingestion de sucre, stimule la pénétration de la sérotonine dans le cerveau, générant une sensation de calme et de bien-être certes, mais d’une durée incroyablement brève, une heure à une heure et demie au maximum. À la clé se manifesteront l’irritabilité, l’impatience, la nervosité, l’agressivité… appelant un nouvel apport de sucre. En fait, tout se passe donc comme si le sucre nous rendait dépendants de son effet sédatif passager, exactement comme une drogue. D’après Julia Ross*, nous serions en fait dépendants aux endorphines que l’organisme sécrète après l’ingestion de sucre…

La gestion de la glycémie, une clé de l’indépendance

 

Si l’enfant nouveau né éprouve le besoin de manger souvent, il acquiert au fil du temps la capacité à gérer ses réserves énergétiques et donc à espacer ses prises alimentaires. Il passe ainsi de la dépendance totale à la mère à l’indépendance qui lui permet de jeûner pendant un temps de plus en plus long. Pour Olivier Soulier, cette capacité s’assimile à l’accession à une certaine forme de sagesse, signe de maturité, qui permet à l’individu de devenir autonome. Au contraire, les sucres rapides et les ingestions répétées qu’ils suscitent enferment l’individu dans la dépendance. C’est pourquoi le sucre, et plus encore ses effets sur le cerveau, sont comparés à ceux de la cocaïne, ce qui donne grandement à réfléchir sur nos consommations quotidiennes qui cumulent sucres simples et sucres complexes (céréales notamment). Anecdote éloquente, Serge Ahmed, directeur de recherche au CNRS et par ailleurs auteur d’une étude sur l’addiction due au sucre, invité à commenter les résultats d’une récente étude américaine, menée par l’ONG Environemental Working Group (EWG), sur les céréales du petit déjeuner, mentionne : « Le plus surprenant est que les industriels appellent ces produits des céréales alors qu’il s’agit en réalité de sucreries. » Une belle invitation à la vigilance car l’ingestion, dès le lever, de produits très sucrés est la garantie de devoir affronter à court terme le fameux coup de barre de la fin de matinée. Changer le contenu de son petit déjeuner est alors la première des résolutions à prendre pour ne pas succomber avec rage à cet appel que la seule volonté est incapable de contenir.

 

Quel est donc l’impact du sucre sur l’organisme ?

 

Il s’avère que le sucre raffiné, par son déséquilibre propre, induit des déséquilibres en cascade à l’intérieur de l’organisme. Si le diabète de type 2 ou gras est relativement bien connu, il n’est pas la seule conséquence car le sucre agit de manière insidieuse pour saper notre santé et se révèle dès lors impliqué dans de multiples pathologies. Voici donc les principaux effets connus à ce jour.

• Carence minérale et déminéralisation
La perte minérale est le premier effet de l’ingestion de sucre raffiné qui, dépourvu de ses minéraux d’origine, est un acide. Pour mémoire, le sucre complet contient de 1 500 à 2 900 mg de sels minéraux, (calcium, potassium et magnésium), alors que le sucre blanc n’en contient que 30 à 50 mg. Il a donc besoin pour être métabolisé d’être tamponné par un apport minéral (dont le calcium, le magnésium et le potassium), soit issu de la nourriture, soit pris sur les réserves organiques que sont les dents, les os, les vaisseaux… Le Magnésium est particulièrement sollicité, alors même qu’il fait déjà défaut dans l’alimentation, consécutivement à l’appauvrissement des sols. Ce phénomène entraîne une inflammation interne par surcharge acide. L’équilibre minéral du zinc et du chrome est également affecté. Résultat : carence en minéraux, doublée d’une déminéralisation de l’organisme, qui ouvre la porte à d’autres déséquilibres (caries, ostéoporose, affections vasculaires…).
• Affaiblissement du système immunitaire
En plus de la perte minérale qui affecte aussi l’immunité, il faut savoir que la vitamine C utilise le même mécanisme pour pénétrer les cellules que le glucose, qui, lui, pénètre de façon privilégiée. Donc plus le niveau de sucre sanguin est élevé, plus le glucose entre dans les cellules, au détriment de la vitamine C. L’insuline, sécrétée par le pancréas pour répondre à l’augmentation du niveau de sucre sanguin, inhibe aussi l’absorption par les reins, ce qui signifie que l’ingestion de glucides entraîne l’excrétion de la vitamine C par les urines au lieu de la retenir dans le corps.
Au niveau de la flore intestinale, les bactéries et levures opportunes pathogènes profitent du sucre pour se développer en surnombre, ce qui induit une digestion incomplète et à terme une altération de la muqueuse intestinale, avec à la clé le développement des candidoses, des allergies, mais aussi des troubles du comportement. Enfin, il a été observé en laboratoire que l’ingestion de sucre sous toutes ses formes pouvait inhiber l’activité des lymphocytes, également tributaire du zinc.
• Vieillissement prématuré
Une des voies d’action des sucres sur le vieillissement est la glycation ou réaction de Maillard, un ensemble de réactions non enzymatiques des protéines. Lorsque des molécules de sucre, quelle qu’en soit la nature, se lient à des protéines, apparaissent des PTG, produits terminaux de la glycation. Les PTG augmentent au cours du vieillissement et ont notamment pour particularité de ronger le collagène et l’élastine, ce qui entraîne une altération des différents tissus, dont les vaisseaux. Ils sont impliqués dans la polyarthrite rhumatoïde, la maladie d’Alzheimer, la dégénérescence maculaire, la fibrose, le diabète… et les rides !
Le fructose se lie davantage aux protéines que le glucose. Attention donc au fructose de synthèse, au sirop d’agave (90 % de fructose) et surtout au sirop de maïs hydrolysé ou HFCS ou encore isoglucose présent dans de nombreux produits industriels.
Enfin, tout excès de sucre et notamment de fructose entraîne une élévation des triglycérides, c’est-à-dire des gras circulants.
• Sucre et cancer
Il a été démontré un lien direct entre taux d’insuline et certains cancers comme celui du sein, du pancréas, de la prostate, du côlon… Des recherches ont établi que l’ingestion de sucre alimentaire pouvait réduire la durée de vie de souris porteuses de tumeurs, trop de sucre ayant un effet négatif sur le système immunitaire. On sait aujourd’hui que les cellules cancéreuses sont de grosses consommatrices de sucre. En parallèle, la dérégulation de la glycémie entraîne une hyperinsulinémie corrélée à une hyperleptinomie, soit un excès de leptine. Outre son rôle d’hormone de la satiété, la leptine est impliquée dans l’angiogenèse (vascularisation), processus normal lors du développement embryonnaire, mais pathologique lors de la croissance des tumeurs. Enfin, n’oublions pas les travaux d’Otto Warburg (prix Nobel en 1931) qui en 1923 montraient que les cellules cancéreuses fermentaient du glucose pour produire leur énergie au lieu de carburer à l’oxygène. Ce que fit dire à certains que le sucre nourrit le cancer… D’autres études ont avancé que non seulement il le nourrit, mais il le génère.

• Perturbations hormonales
Michel Raymond, dans « Cro-magnon toi-même », précise qu’il existe un lien entre consommation de sucre, insuline et hormone de croissance. Par exemple, le sucre induit un dérèglement de la croissance des nerfs optiques. Michel Raymond cite les Inuits chez qui on a noté une augmentation très marquée des très fortes myopies après introduction du sucre et ce, en seulement 20 ans, alors que la myopie était extrêmement rare. De même l’acné, considéré comme normal dans les sociétés occidentales, est inconnu dans les sociétés primitives. Il rapporte aussi un déséquilibre global des sécrétions hormonales, origine des kystes ovariens, de certains cancers (sein, prostate, côlon), d’hypertension, de calvitie…
• Troubles du comportement et maladies mentales
Comme nous l’avons évoqué, les trop grandes variations de la glycémie affectent le cerveau. L’hypoglycémie, c’est-à-dire la baisse du niveau de sucre sanguin, est source de nervosité, d’irritation et de violence. Des expériences menées dans des écoles et des prisons ont montré que la suppression des produits sucrés et sucrants a pour conséquence immédiate un plus grand calme, une plus grande attention, moins de violence et moins de dégradations matérielles.
Sachez aussi que statistiquement, les dépressifs sont plus nombreux parmi les diabétiques.
À noter également que la perte minérale en magnésium, induite par la consommation de sucre, contribue à altérer l’humeur.
Enfin, le sucre serait également responsable de la dégénérescence telle qu’observée dans la maladie d’Alzheimer (que certains qualifient de diabète de type 3), par déséquilibrage du mécanisme du cholestérol indispensable au fonctionnement cérébral.

 

À travers cette liste, il devient évident qu’une grande vigilance s’impose vis-à-vis de la consommation de sucre, notamment chez les jeunes enfants afin de ne pas créer l’addiction fatale. Et n’oubliez pas que tous les produits céréaliers raffinés sont des sources de glucides dépourvues de minéraux et ont par conséquent les mêmes effets que le sucre blanc. Diminuer ses apports est donc le premier geste à poser pour s’assurer de beaux jours. Nous verrons donc dans un prochain article comment réguler nos apports, sans renoncer à la douceur !

 

Pour aller plus loin
 

Cro-magon toi-même, Petit guide darwinien de la vie quotidienne, Michel Raymond, Seuil, 2008
Nutrition et bien-être mental, pourquoi et comment notre alimentation influence notre cerveau, Veronica Van der Spek, de boeck, 2009
Libérez-vous de vos fringales, Julia Ross, Thierry Souccar édition pour la traduction française, 2011
Le sens caché de nos dépendances, docteur Olivier Soulier, in Biocontact, mars 2007, consultable sur http://www.lessymboles.com